Le Sud Lipez, un paradis naturel devenu royaume des 4×4

Quand nous préparions notre itinéraire, lorsque Lolo me parlait du Sud Lipez, le défi des cyclotouristes en Amérique du Sud, je n’étais pas vraiment emballée… vent, froid, pistes pourries, cols, le tout dans une région très isolée, sans possibilité de ravitaillement et avec peu de points d’eau. Et une réputation de parcours super difficile où il faut beaucoup pousser les vélos…
Mais plus on s’en approche, plus je suis tentée de me laisser tenter !
Depuis que nous avons quitté Cusco il y a deux mois, nous roulons principalement sur des pistes et nous avons adoré la tranquillité et le sentiment de liberté que celaprocure.
Et puis c’est le moment où jamais pour se lancer : on vit à plus de 3500 mètres d’altitude depuis plus de 2 mois et on a plein de globules rouges. A force de rouler sur des pistes pourries, sableuses et de tôle ondulée on est devenus experts en pilotage tous terrains et nous avons pris l’habitude de vivre dans le froid et le vent.
Reste à se préparer mentalement à passer encore 10 jours en rationnement alimentaire, alors on se lâche à Uyuni et on mange plein de « bonnes »choses (frites, viande au barbecue, pizzas, refrites, gâteaux plein de crème, mais aussi plein de fruits).
Sur les blogs d’autres cyclistes on trouve plein plein d’infos :
parcours raconté dans les moindres détails et surtout une carte qui indique les quelques endroits où l’on peut s’abriter du vent et les points d’eau.
Lolo compile toutes les infos et moi je me charge des courses. Tous les repas pour 10 jours, même en prenant le minimum ça fait du volume et surtout beaucoup de poids. Mais bon nous voilà prêts !

En quittant la ville nous faisons un petit stop au cimetière des trains, un drôle d’endroit. Nous longeons la décharge pour arriver dans ce lieu où sont entassées des carcasses de train rouillées. J’ai beau venir de Brest où la tôle rouillée est un must du paysage urbain, j’ai du mal à apprécier, surtout qu’avec le vent les ordures de la décharge jonchent le sol. Mais bon Lolo lui trouve que ça vaut le déplacement, tout comme les dizaines d’autres touristes qui descendent de leur 4×4 pour escalader les locomotives et se prendre en photo.
Avant de pouvoir découvrir les beaux paysages du Sud Lipez, nous devons avaler 180 kilomètres sur une piste plutôt plate et assez roulante. Cela nous prendra 2 jours et demi car les après midi un vent terrible se lève et on l’a dans la figure. Déjà que les paysages
sont inintéressants et monotones, alors avec cet ennemi invisible en plus c’est vraiment pas terrible.
Sur la route on croise plusieurs villages, mais pas de regrets d’avoir fait toutes nos courses avant car il n’y a pas grand-chose dans les boutiques, mais on y trouve quand même des endroits pour dormir à l’abri du vent : dans la salle d’un restaurant fermé et dans un petit hôtel.

Au bout de 2 jours et demi nous quittons donc la piste principale pour aller pédaler dans le sable, les gravillons, les cailloux et la tôle ondulée…
Effectivement, la réputation du Sud Lipez n’est pas exagérée, les pistes sont vraiment pourries… Et le vent est aussi de la partie, encore plus violent qu’avant. Mais les paysages sont magnifiques et pour le moment la piste est tranquille. La majorité des personnes qui visitent le Sud Lipez en profitent pour voir aussi le Salar d’Uyuni et ne prennent donc pas ce début de chemin.
Pour ce soir nous visons la Laguna Hedionda et son hôtel. Alors vous vous demandez peut-être pourquoi on ne profite pas de ces beaux paysages pour camper, comme d’habitude. En fait ici il fait très froid la nuit, et surtout le vent est tellement violent que notre préoccupation principale est d’abriter un peu la tente, et la nature n’offre que très peu d’abris par ici.
La journée est longue, on n’avance pas vite entre le sable et les pistes pleines de grosses pierres. Un vrai sentier de VTT. Et ça se complique encore quand le soleil couchant nous aveugle . Le choix est difficile : garder sa main sur le guidon pour pouvoir maîtriser son engin mais ne rien voir et foncer dans les pierres, ou s’en servir pour cacher le soleil mais piloter à une main…
La nuit est tombée quand nous arrivons à la lagune. Comme attendu, l’hôtel est hors budget pour nous, mais ils nous permettent de nous installer dans une salle qu’un autre cycliste italien occupe déjà. Une bonne nuit de repos à l’abri du vent, et au réveil on découvre le magnifique spectacle de la lagune où barbotent des dizaines de flamants roses. On en profite pour faire le plein d’eau, mais ici elle est un peu salée… On la réserve pour la cuisine et la vaisselle et on complète nos réserves avec une bouteille achetée à prix d’or !

Premier col à 4700 mètres. L’italien nous scotche sur place et nous débutons l’ascension au rythme de Coco l’escargot. Les roues avant se plantent dans le sable et régulièrement nous devons descendre du vélo et le pousser sur quelques mètres pour se dégager, pédaler quelques dizaines ou centaines de mètres…et recommencer ! Et nous avons de la
chance, aujourd’hui le vent est notre allié, il nous pousse dans le dos. Mais il ne pousse pas que nous, il nous amène aussi d’énormes nuages noirs qui nous font trembler… Il fait déjà très froid sans soleil et on n’aimerait vraiment pas être trempés en prime. Heureusement pas de déluge, mais juste quelques petits flocons de neige.
En route on se fait doubler par un sympathique couple de jeunes Français, Léo et Virginie (http://vertical-horizons.fr/), puis quelques heures plus tard par 3 potes Belges ! On le savait déjà, on est supers lents… mais « rien ne sert de courir il faut partir à point », et même si nous sommes les derniers, nous arrivons à l’hôtel del Desierto en fin d’après midi.
Là encore, nous sommes obligés d’y faire un détour car c’est le seul accès à l’eau et nous devons y faire le plein pour 2 jours. En plus ils sont réputés pour être sympas avec les cyclistes. Et effectivement  le personnel de cet hôtel de luxe (150 dollars la nuit) nous permet de camper bien à l’abri à coté des chambres des chauffeurs de 4×4, et même d’utiliser les douches et WC. Pourtant nous sommes 8 cyclistes à squatter là, un record selon un employé de l’hôtel qui n’en n’a jamais vu tant à la fois.

Le lendemain rebelote, la piste est très sableuse, et chaque coup de pédale est difficile. Quand le sol devient un peu plus ferme, nous sommes secoués par les bosses de tôle ondulée. Et même si on pensait être bien acclimatés à l’altitude, comme l’effort est intense on a régulièrement le souffle coupé… Dès 9 heures du matin le vent se lève et comme on ne peut pas toujours avoir de chance, il est de face. 5 heures de pédalage pour faire 30 kilomètres…
Heureusement les paysages sont magnifiques, cela compense : des immenses étendues désertiques, des volcans aux superbes couleurs, on se sent tout petits…
Un regret quand-même, dans ces grandes plaines la terre est marquée de partout, presque labourée par les traces de roues de 4×4. Ce parc naturel est tellement beau que chaque jour plus d’une centaine de véhicules le traversent pour permettre aux touristes de le découvrir. Mais les guides ne suivent pas tous la piste principale et roulent n’importe où, dégradant le paysage. Coté positif des choses, comme cela il y en a plein qui passent loin de nous…
Nous arrivons au premier stop touristique du Sud Lipez, El Arbol de Piedra, l’arbre de pierre. Ce n’est pas un rocher isolé, il y a des ilots rocheux pour s’abriter du vent qui souffle très fort. Mais en s’approchant du lieu on voit plein de 4×4. On fait nos sauvages et on préfère s’installer 1 petit kilomètre au nord au pied d’un gros rocher qui nous protège bien. Bon choix car le lendemain matin avant 7 heures, le défilé des 4×4 commence…
Une fois prêts, lorsque l’on va enfin voir ce rocher naturellement sculpté en forme d’arbre, on est un peu déçus. Quelques guides viennent discuter avec nous (pendant que leurs clients grimpent sur les rochers pour s’y prendre en photo) et comme ils sont bien sympas je leur donne des outils que j’ai trouvés sur la piste la veille (j’ai la manie d’avoir toujours un œil qui surveille le sol où je trouve régulièrement de merveilleux trésors, ce jour la une clef à molette, un tournevis double et un briquet, pas mal en plein désert non ?). Ils sont  ravis et nous offrent en retour 3 bananes, 2 clémentines et 1 boite de tisanes. On est vraiment contents car nous n’avons pas pu amener beaucoup de fruits ni de légumes avec nous.

Le lendemain on se prévoit une petite journée. 18Km dont une bonne partie en descente jusqu’à la Laguna Colorada, une lagune aux eaux rouges. Mais c’était sans compter sur l’état de la piste. Pire que du sable, des gravillons poussiéreux! Nous roulons dans un immense bac de litière pour chat qui ravirait notre petit Nividic. On s’enfonce, on dérape, on tombe, on relève nos vélos. Nous sommes en descente, le vent dans le dos mais on doit régulièrement pousser nos vélos sur quelques mètres tellement on s’enfonce. La vue sur la lagune nous motive, et arrivés en bas c’est magnifique, des couleurs incroyables et des flamands roses par centaines. Comme il y a un refuge au bord de la lagune, nous nous y arrêtons. On profite de l’après-midi pour aller se balader au bord de la lagune, admirer les oiseaux, et on s’offre même une douche chaude et une nuit au chaud dans un lit !
En fait le Sud Lipez c’est l’aventure tout confort !

Depuis la laguna colorada nous sommes vraiment rentrés dans le parc naturel, et les guides suivent mieux la piste principale, ce qui fait que tous les 4×4 circulent au même endroit. Fini le calme et la tranquillité. Des dizaines de 4×4 nous doublent et nous croisent tout au long de la journée.
Nous sommes supers déçus car ce défilé nous gâche le plaisir de rouler dans ce décor magnifique.
Nous sommes aussi agacés par l’irrespect et le manque de politesse de certains de nos collègues touristes. Régulièrement des 4×4 ralentissent, voir s’arrêtent à notre niveau, une fenêtre s’ouvre, un appareil photo sort, pas un mot et le véhicule repart… Horripilant !
Pire encore quand nous arrivons à un endroit où les 4×4 s’arrêtent. Les gens sont à quelques mètres de nous mais dégainent leurs appareils photo sans rien nous demander. Quand j’arrive à en choper un je leur explique que nous ne sommes pas dans un zoo, et que nous ne sommes pas des animaux mais des être humains à qui c’est plus poli de demander avant, mais non, eux trouvent cela normal. Heureusement on croise aussi des touristes sympas, le 4×4 ralenti, les fenêtres s’ouvrent on nous sourit, on nous encourage et parfois même on à le droit à un bravo les bretons! Ça fait du bien au moral quand la route est difficile.

Et pour arriver au col le plus haut du Sud Lipez à 4926 mètres, ce fût difficile : pente raide, litière pour chat, vent dans la figure… La montée semble sans fin. Un peu avant la nuit nous arrivons à Sol de Mañana, un endroit vraiment étrange. Ici il y a une grosse activité géothermique qui provoque des geysers de vapeur d’eau à la forte odeur de souffre, et il y a aussi des flaques d’une boue grisâtre qui bouillonne. L’endroit est irréel, on se croirait dans un repère de sorcières. Mais nous sommes à 4800 mètres d’altitude, le vent souffle toujours, il fait trop froid pour visiter et nous nous dépêchons de planter la tente et nous mettre à l’abri. Nous n’avons encore jamais dormi si haut. Le lendemain nous sommes réveillés par des claquements de nombreuses portières à 5h30… Intrigués Lolo trouve le courage de sortir de son duvet pour aller voir ce qu’il y a de si beau à cette heure-ci. 23 4×4 sont déjà là, alors que le site est dans l’ombre. Et le défilé continue. Mais deux heures plus tard il n’y a plus personne et nous pouvons profiter du lieu avec la jolie lumière du petit matin.

Après ce col l’état de la piste s’améliore, nous profitons d’une vraie descente sans sable et nous arrivons en fin de matinée au bord de la lagune Chalviri. Cette lagune est alimentée par des sources d’eau chaude, alors il y a des thermes. L’endroit est magnifique, un bassin en bord de lagune avec vue sur cette eau bleu où barbotent des flamands roses… Malheureusement l’endroit est bondé. Mais heureusement mon amoureux est bien renseigné, un petit kilomètre avant il y a une toute petite retenue d’eau naturelle, elle aussi alimentée en eau chaude, où je peux me baigner tranquille.
Il n’est même pas midi, on n’est pas motivés à se poser près des thermes, alors on décide de faire deux étapes en une. L’après-midi sera difficile car un autre col nous attend avec un vent très violent, pile contre nous. Même la descente est longue tellement il souffle fort. Mais on arrive jusqu’ à la Laguna Blanca où une vieille maison en ruines nous offre un super abri. Le matin on profite d’un petit déjeuner au soleil avec une vue magnifique…et un défilé de 4×4 se rendant à la Laguna Verde. Et oui après le bleu, le blanc et le rouge, ici l’eau est verte. C’est vraiment fou toutes ses couleurs !
Un dernier petit col à grimper, vent de face toujours, et nous passons la frontière bolivienne. Nous retrouvons un beau bitume bien lisse et roulant, mais à mon grand  désespoir ça monte encore pendant 6 longs kilomètres.
Et puis nous entamons la plus longue descente du voyage : 30 kilomètres qui nous feront passer de 4600 mètres à 2400 mètres, du vent glacial des hauteurs boliviennes à la chaleur assommante du désert d’Atacama. Pas de record de vitesse (mais quand-même un petit 80 pour Lolo), le vent souffle tellement fort que l’on se méfie, mais on profite quand-même de cette longue glissade jusqu’à San Pedro de Atacama.